Babylon : Irrévérencieux hommage au 7e Art

Ayant particulièrement aimé le film lors de mon premier visionnage, j’ai décidé d’y retourner. Tant pour démêler un peu tout ce que j’ai vu et ressenti la première fois, que parce que la séance tombait très bien dans l’emploi du temps de mon lundi après-midi. Car il faut quand même trouver le temps d’apprécier les trois heures de film à leur juste valeur, et quoi de mieux pour cela qu’une salle de cinéma presque vide, un après-midi d’hiver ?

Revenons-en au film. Et quel film ! Le deuxième visionnage, moins surprise que le premier, est encore meilleur. Car le premier visionnage relate, il faut bien l’avouer, du traumatisme. Ce film est si décadent, sale, transgressif sur tous les points de vue (comme l’était cette ère, rien n’est heureusement gratuit) qu’il vaut mieux être au courant. Et je ne l’étais pas du tout ! Surtout après un La La Land si lisse ! Attendez-vous donc à du sang, des excréments, de l’urine, de la drogue, de la sueur… et tout ce qui en découle. Et ce, dès l’introduction.

Étant fan de The Great Gatsby (principalement sous sa forme originale, écrite, mais j’ai bien évidemment vu les 3 adaptations cinématographiques, dont la dernière de Baz Luhrmann), les similarités d’atmosphère avec la dernière version de 2013 m’ont sautées aux yeux. Quelle fête ! Quel spectacle ! Quelle BO ! A la (grande) différence près qu’ici, Damien Chazelle nous dresse le portrait de cette époque sans aucun filtre, ce qui rend Gatsby particulièrement aseptisé en comparaison. Mais c’est là que la comparaison doit prendre fin, car ces deux films n’ont finalement que cette atmosphère festive post WW1 en commun, et Babylon en est la version west coast pornographique sous acide.

Damien Chazelle choisit dans Babylon de nous raconter la naissance d’Hollywood tel que nous le connaissons aujourd’hui, en débutant le film en 1926, à l’aube de l’apparition du son à l’écran. Nous suivons tout particulièrement les personnages de Nellie LaRoy, Manuel Torres et Jack Conrad (respectivement Margot Robbie, Diego Calva et Brad Pitt). Les performances de Margot Robbie et Brad Pitt les propulsent aux sommets de leurs pourtant déjà très riches carrières, ils sont tout bonnement dans une justesse parfaite. Le film saute de personnage en personnage, mais ce sont leurs carrières et leurs tournages qui sont au cœur de l’intrigue, bien plus que les relations qu’ils peuvent avoir les uns avec les autres. Un angle d’approche que j’ai particulièrement apprécié, et qui éloigne ce film du format narratif traditionnel.

En effet, le sujet du film reste le cinéma. Vaste sujet. Honnêtement Damien Chazelle s’en sort particulièrement bien : sa mise en abyme à plusieurs couches est très bien exécutée, dans une frénésie chaotique totale, mais on ne doute pas une seconde du réalisme des scènes qui se déroulent sous nos yeux. Quel choc par ailleurs de découvrir les conditions de tournage des premiers « grands films », realisés en plein air, dans le désert, avec des figurants sous drogues et alcool pour que les temps d’attente entre les prises passent plus vite… cocktail des plus dangereux, car après avoir fait quelques recherches, j’ai découvert qu’en effet, comme l’évoque le film, figurants ou caméramans étaient décédés sur certains tournages, dans l’indifférence la plus totale.

Sur ce plan, le film est quasiment initiatique. On voit le cinéma évoluer au fil de la réflexion des acteurs, producteurs ou réalisateurs. Qui par leurs erreurs (et toujours dans l’excès) ont fait avancer le cinéma à grands pas: le passage au son en 1928 révolutionne toute l’industrie car il fait évoluer le rôle du cinéma, toute la technique doit s’adapter, les acteurs doivent désormais apprendre un texte et le jouer, comme au théâtre… Ce qui provoque une vague de renouvellement chez les acteurs, car beaucoup ne savent pas réellement « jouer ».

Chazelle aborde par ce biais le cœur de son film: le rôle absolu et « éternisant » du cinéma. Tout ce qui passe à l’écran, qui est dans une pellicule, s’inscrit dans le temps, indéfiniment. Plusieurs fois le film évoque le besoin qu’ont acteurs, techniciens, etc de travailler dans le cinéma, car cela à du sens, « it means something ». Acteurs, récits, émotions… c’est toute la magie de cet art: donner une version travaillée et perfectionnée d’une scène. C’est le contraire de ce que l’on connaissait jusqu’alors, via les autres arts de la représentation (théâtre, opéra, danse…) qui offrent une magie de l’instant. Les deux approches ont beau être diamétralement opposées, leurs objectifs vis à vis du public sont les mêmes : faire voyager le spectateur, que ce soit dans une autre vie, au bout du monde, ou à l’intérieur de lui-même, dans ses émotions, ses réflexions. C’est ce qui donne cette universalité et cette éternité au cinéma (au même titre qu’à la littérature), un film sera interprété dans un contexte personnel et individuel par chaque spectateur en fonction de son prisme, mais évoquera toujours forcément quelque chose à tout spectateur. Le sens qu’une œuvre prend alors est à la fois individuelle, personnelle, mais aussi potentiellement partagée et vouée à débats et échanges. Cette richesse d’émotions, de sensations et de réflexions, offerte sur un temps si court (par rapport à celui de la lecture) m’a toujours fascinée, et c’est ce qui fait du cinéma mon art préféré. Et ce film en est le parfait archétype, beau, complet, riche, fort.

Babylon relate l’accouchement violent, douloureux et même absurde du cinéma tel qu’on le connaît aujourd’hui. La violence dépeinte dans le film, tant à travers le vocabulaire employé que par la violence physique (et même psychologique) de certaines scènes nous rappellent également à quel point le monde du cinéma est un univers cruel, qui ne laisse de place qu’à très peu d’élus, qui sont eux-mêmes de toutes façons en permanence sur la sellette. Ce monde a toujours été et sera toujours un monde de l’excès, car tout ce qui semble acquis (argent, succès), ne l’est jamais vraiment. Il faut donc en profiter, toujours plus vite, toujours plus loin. Toujours plus.

Le film se clôture sur un final complètement transcendant, porté par la géniale musique d’Hurwitz, reprenant le thème principal, addictif du reste du film, avec des débordements très larges et puissants qui dégénère et nous entraîne aussi loin auditivement que visuellement. Car à l’écran nous passons d’images d’archives de la construction d’Hollywood, à des scènes emblématiques du film faisant office de générique de fin, à des précipités hypnotisants d’encres de couleur, ou encore à des scènes mythiques d’autres films… Le tout fait basculer encore un peu plus Babylon dans une dimension profonde et éternelle, un film « that means something ».

Étant sortie du cinéma pour rejoindre un très joli bar à cocktails (The Belfry), tout particulièrement spécialisé dans les Martinis, je n’ai aucune hésitation sur l’accord parfait que Babylon mérite : un Martini Gin, au Monkey 47 et Vermouth blanc de chez Dolin, avec olive. Sans aucune hésitation, ce cocktail composé exclusivement d’alcool saura s’accorder à l’ambiance décadente et énergique du film, tout en vous apportant la richesse aromatique herbacée du Gin, et la légère sucrosité doucereuse du Vermouth. Boum.

Publié par Cinévins

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