Anatomie d’une chute : vertigineux de réalisme

Lorsque j’ai appris que mon cinéma habituel, ici à Brooklyn, allait diffuser Anatomie d’une chute, j’ai commencé à surveiller attentivement les sorties chaque semaine pour être certaine de ne pas rater ce film, Palme d’Or de l’année. Et j’ai très bien fait, car j’en suis encore complètement subjuguée.

Le synopsis est pourtant assez simple: une femme est accusée d’avoir assassiné son mari en le poussant depuis le balcon de leur chalet dans les Alpes. Et l’on suit l’enquête, le procès, la trajectoire d’un couple, à la recherche de la vérité. Tout se met en place de manière très fluide, la réalisation, très neutre en apparence, nous surprend très rapidement avec des plans doux, émouvants, d’une intimité folle. Très vite, on se rend compte que le film va être bien plus profond que ce que nous offrent habituellement les « thrillers ».

Mais qui dit « thriller » dit « thrills » (frissons) et c’est bien là tout l’objet de ce film. On nous embarque dans cette histoire en apparence froide, judiciaire (et honnêtement sur le papier presque barbante), à explorer les relations humaines les plus intimes d’un couple, qui va être disséqué, decortiqué, que l’on va tenter de comprendre au même titre que les jurés du procès, afin de déterminer de la culpabilité et donc de l’avenir d’une femme, et de son fils. Et tout devient alors completement vertigineux, chaque détail compte, on analyse tout, on essaye de tout savoir, de tout comprendre, de dechiffrer : le spectateur est tenu en haleine pendant les 2h30 du film, qui passent par ailleurs à une vitesse folle. Et les frissons qui en découlent sont au moins tout aussi forts, si non plus intenses, que devant bon nombre de thrillers plus spectaculaires visuellement. Et je vais essayer de comprendre pourquoi.

Tout d’abord la réalisatrice et scénariste, Justine Triet. Ses choix de réalisation sont très osés pour un film traitant de ce sujet. Enfin ce sujet… finalement il y a surtout une multitude de sujets, des vies entières décortiquées pour aborder à travers elles des thématiques complexes telles que la vérité, la place de l’individu dans le couple, la nécessité d’écriture, la honte, la culpabilité, les blessures, l’amour, la famille, le sacrifice. Et j’en oublie sans doute, mais le scénario est vraiment impressionnant, l’écriture est aussi fluide que riche et réaliste. 

C’est selon moi le deuxième paramètre génial du film: son réalisme . En effet, au même titre que la vie l’est, le film relate de moments, d’émotions, de discussions, tellement proches de ce que l’on peut vivre dans nos vies, que des dizaines de sensations et d’émotions naissent chez le spectateur. Tout cela est rendu possible par les merveilleux acteurs qui crèvent l’écran, des interprétations d’une justesse folle, brutes, completes. Sandra Hüller et Milo Machado Graner portent toute l’intrigue, tout le poids émotionnel du film. Ils incarnent tellement bien leurs personnages, respectivement Sandra, accusée du crime de son époux et Daniel, leur fils. Ce dernier interprète le rôle d’un garçon de 11 ans, devenu malvoyant suite à un accident lorsqu’il avait 4 ans. Toute l’intrigue repose en grande partie sur son témoignage, car il est le seul témoin, présent sur les lieux le jour de la mort de son père, mais également de la relation de ses parents. Il donne une amplitude impressionnante à son personnage, tant par sa superbe diction, que par son expressivité générale. Un acteur à suivre, que je serai vraiment ravie de retrouver à l’écran. Mais la force du film tient aussi à la justesse de tous les acteurs, Samuel Theis, Swann Arlaud, Antoine Reinartz, Jehnny Beth, qui sont vraiment parfaits.

Aussi, je tiens également tout particulièrement à souligner la richesse et l’originalité des personnages. Sandra notamment, une femme forte, d’une intelligence impressionnante, et dotée d’un recul instantané sur les situations, m’a particulièrement intriguée car on ne voit que peu de personnages féminins comme elle. Son ambition et sa soif de liberté détonnent complètement : auteure à succès ( ce qui permet de très belles scènes de procès autour non seulement de sa personnalité mais également de ses livres et ses personnages), mère d’un enfant handicapé, bisexuelle, et pourtant isolée dans ce petit chalet alpin. Tout de suite, on commence à voir plusieurs ficelles se dessiner et mettre en place tout le potentiel des problématiques du couple. Car c’est finalement l’anatomie du couple qui est disséquée sous nos yeux, presque gênés d’accéder à ce point à leur intimité. Scenario, réalisation et acteurs réussissent ensemble l’exploit de ne tomber dans aucune facilité, dans aucun clichés… le tout en maintenant une tension absolument glaçante, ce qui en fait un film exceptionnel. 

Petit point aussi sur la BO du film, très discrète, qui repose presque essentiellement sur les quelques morceaux de piano joués par Daniel, qui reviennent plusieurs fois dans le film. J’ai relevé Asturias d’Isaac Albéniz (que j’écoute souvent dans mon bain) et Jane B. Quelle émotion, dès les premières notes de ce dernier morceau, joué au piano, très lentement, sobrement. Un hommage de plus, discret, doux et intemporel à cette femme que j’admirais tant. 

Enfin, et je conclurais ainsi, si vous vous demandiez pourquoi j’aime autant le cinéma, ce film en est une des raisons. Nous sommes face à un chef d’oeuvre, du cinéma qui nourrit, qui fait réfléchir et ressentir, qui met la vie en perspective. Un très grand moment, que je vous recommande d’aller expérimenter au cinéma, afin de vraiment être pleinement présent face à l’écran, et surtout face à vous-mêmes. 

Trouver un accord avec ce film est vraiment compliqué. Il faut un vin complexe, fascinant, riche. Exceptionnel. Je pense donc partir sur un champagne, en cassant alors totalement cette fois-ci son image « festive ». J’ai eu la chance de déguster dernièrement un Krug Grande Année 167e Edition, et je repense souvent à ce moment, exceptionnel au milieu d’une journée presque commune. Tout comme ce film, qui traite d’un sujet peu attrayant, mais avec tant de finesse et de profondeur, que le résultat est tout simplement sublime.

Publié par Cinévins

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